Comment produire une crise mondiale avec douze petits dessins
de Jeanne Favret-Saada
Editions Les Prairies ordinaires
168 pages, 15 euros
Jeanne Favret-Saada était présente, à la tribune, aux journées
internationales laïques de Montreuil, le 10 février dernier. L'histoire
des caricatures danoises est aujourd'hui bien connu, notamment le
décalage de date entre la crise, les ambassades brûlées et les morts
(janvier-février 2006), et la publication des caricatures (30 septembre
2005).
Chacun connaît plus ou moins le rôle de certains imams radicaux
danois, membre du " comité européen pour la défense du prophète ", qui,
en amenant des faux grossiers au Caire (notamment un musulman en prière
en train de se faire sodomiser par un gros chien, et un visage d'homme
avec un groin de cochon, sensé représenté le Prophète), ont radicalisé
volontairement la situation, contre le pays qui les a accueillis, le
Danemark.
L'ampleur des pressions auprès de l'ONU de l'OCI (Organisation de la
conférence islamique) et celles de la Ligue islamique mondiale (qui
portera plainte plus tard, en compagnie de Boubakeur et de l'UOIF
contre Charlie Hebdo) sont fort bien démontrées.
L'intérêt politique de plusieurs gouvernements, en proie à des
difficultés internes, était de faire une diversion en mobilisant
l'opinion contre le gouvernement danois, l'Occident et les Etats-Unis
(alors que le petit pays européen a été longtemps laissé seul,
abondonné par l'Union européenne, l'Onu et les Etats-Unis).
L'ouvrage se livre à un rappel historique fort utile sur l'histoire
de l'immigration, des années 1960 à aujourd'hui, les axes de l'extrême
droite, les réponses de la droite conservatrice et de la gauche, mais
aussi les pressions incessantes des imams contre le pouvoir politique.
Mais son intérêt réside plutôt dans le dénouement de cette affaire, et
dans les personnages clés qu'on y rencontre.
Un personnage essentiel du livre est Naser Khader, député du Parti
radical danois (centre gauche) depuis 2001, réélu en 2005, et fondateur
en 2006 du Réseau des Musulmans Démocrates. Né en 1963 à Damas, fils
d'un palestinien venu au Danemark en 1974, il milite rapidement dans
les quartiers pour l'égalité des sexes, pour l'intégration, et contre
les mariages arrangés. Il s'inquiète rapidement de la montée de
l'antisémitisme chez les jeunes palestinien réfugiés au Danemark et
entend, dans ses discours, séparer le religieux du politique.
Tout au long de la crise, il tiendra tête aux imams radicaux, et lui
aussi exigera des excuses de la part des dictatures islamistes qui
insultent son pays, le Danemark, et la majorité des musulmans, les
jugeant incapables d'apprécier l'humour sur la religion.
On regrette de ne pas davantage connaître Kaare Bluitgen, car c'est
à cause de lui que tout est arrivé. Ce militant issu de l'extrême
gauche tiers-mondiste vit depuis trente ans dans un quartier
d'immigration, où résident de nombreux réfugiés palestiniens. Ses
convictions ne l'empêchent pas de raconter que ses enfants, à l'école,
sont souvent malmenés par les gamins d'origine étangère, ni de
constater les conséquences de la montée de l'islamisme dans la vie de
son quartier. Cela lui vaut bien sûr d'être excommunié par ses
camarades, qui pensent qu'avec un tel discours, il doit être qualifié
de " traître gagné par les idées d'extrême droite ". Ne se laissant pas
démonter, Kaare Bluitgen, en 2005, pour favoriser l'intégration, décide
de publier un livre retraçant la vie de Mahomet. Il cherche pour cela
des dessinateurs, mais n'en trouve pas. Il paraît qu'il est interdit de
dessiner le prophète, et tous ont peur des menaces distillées par les
islamistes, dans un contexte, chez le voisin hollandais, où Theo Van
Gogh a été assassiné un an plus tôt, tandis qu'Ayaan Hirsi Ali vit sous
haute protection policière.
C'est cette situation qui pousse quelques journalistes du Jyllands
Posten et chef de rubrique, Flemming Rose, à proposer aux quarante
membres du syndicat des illustrateurs de presse de dessiner Mahomet
comme ils le voient. Avec les conséquences disproportionnées que l'on
connaît...
Notre ami Mohamed Sifaoui sera l'auteur d'un reportage, publié
conjointement au Danemark et sur France 2, qui fera date, le 23 mars
2006. Muni de deux caméras, dont une cachée, il piègera les imams
radicaux, démasquant leur discours officiel (devant la caméra) et leur
vrai discours (qu'ils croyaient off). L'un d'eux, parlant de Naser
Khader, dira : " S'il devient ministre de l'immigration et de
l'intégration, ne faudrait-il pas que deux mecs aillent le voir pour
l'exploser, lui et son ministère ? ".
L'auteur se veut optimiste, sur la fin, en montrant que les imams
radicaux, trahis par leurs doubles discours, sont désavoués par la
majorité de la communauté musulmane danoise. Elle fonde beaucoup
d'espoir sur le rôle d'un Naser Khader, dont le programme est de "
souder les musulmans autour des citoyens danois, sur des valeurs
communes ". Pour lui, quand cela sera fait, " le Danemark n'aura plus
besoin de Musulmans démocrates, il ne restera que des démocrates ".
En attendant, Naser Khader, depuis cette affaire, vit vingt-quatre
heures sur vingt-quatre sous haute protection policière. Comme Mohamed
Sifaoui, comme Ayaan Hirsi Ali, et comme beaucoup qui ont le courage
d'affronter le fascisme islamiste.
Et le 22 mars prochain (nouvelle date définitive), nous aurons le
verdict du procès intenté par les censeurs islamistes contre Charlie
Hebdo, à la suite de la publication de ces caricatures, et du dessin de
Cabu.
Pierre Cassen
Source : Respublica