Relaxe requise Charlie Hebdo
Le procureur a jugé que "ce n'est pas la foi en l'Islam qui a été stigmatisée" par les caricatures de Mahomet publiées par l'hebdomadaire.
Les avocats de la Grande mosquée de Paris, qui poursuivent Charlie Hebdo pour avoir publié des caricatures du prophète, ont estimé jeudi que la revue satirique s'était rendue coupable d'injure raciale en assimilant les musulmans aux terroristes. Le ministère public a pour sa part requis la relaxe. Le jugement sera mis en délibéré à l'issue des plaidoiries de la défense.
Le procureur Anne de Fontette a jugé que "ce n'est pas la foi en l'Islam qui a été stigmatisée par ces caricatures. Ce n'est pas une attaque contre des convictions religieuses en tant que telles". Evoquant la caricature représentant une mèche allumée sortant d'un turban en forme de bombe, elle a expliqué: "Ce qui est mis en évidence dans cette caricature, ce n'est pas l'obscurantisme de la religion musulmane, son prosélytisme ou encore ses défauts, c'est la dénonciation de l'utilisation qu'en font les terroristes qui prétendent agir en son nom ou au nom du prophète (...) l'intégrisme politique, le djihad, le combat des terroristes".
Pour le ministère public, ce dessin "pourrait être considéré comme une atteinte au symbole religieux, mais alors c'est un blasphème, et il est aboli dans notre législation depuis la révolution française".
"Barbare"
"Il est grotesque de venir nous soutenir que les associations que nous représentons cherchent à faire rétablir un quelconque délit de blasphème", a plaidé pour sa part Me Christophe Bigot, l'un des deux avocats de la Grande mosquée de Paris. La stratégie de Charlie Hebdo a été, selon lui, de représenter ses clients comme des "citoyens qui veulent faire régresser la justice et faire retomber la France dans je ne sais quel pays barbare".
La Grande mosquée de Paris et l'Union des organisations islamistes de France (UOIF) poursuivent trois dessins publiés par Charlie Hebdo dans son numéro du 8 février 2006. Celui en "une", réalisé par Cabu, représentant, sous le titre "Mahomet débordé par les intégristes", un prophète soupirant: "c'est dur d'être aimé par des cons".
Le deuxième représente le prophète coiffé d'un turban sur lequel est inscrit le premier pilier de l'Islam (Il n'y a qu'un seul dieu et Mahomet est son prophète) d'où sort la mèche d'une bombe et le troisième, Mahomet sur un nuage accueillant des terroristes leur disant: "Arrêtez, arrêtez, nous n'avons plus de vierges".
Ces caricatures, pratiquant amalgame entre Islam et terrorisme, "constituent une expression outrageante par la définition d'une croyance dans un prophète terroriste", a soutenu Me Bigot. Son confrère, Me Francis Szpiner, a affirmé que ces "caricatures inacceptables véhiculent un message qui porte atteinte à la dignité des musulmans" en assimilant le musulman au terroriste. Un amalgame qui préfigure "les ratonnades" et le "délit de sale gueule".
Bayrou au créneau
Un peu plus tôt dans la journée, François Bayrou, président de l'UDF, cité comme témoin par la défense de Charlie Hebdo a considéré que ces dessins ne représentaient pas, à ses yeux, "une offense lourde en direction de la communauté musulmane". "Le pilier central de la société dans laquelle nous vivons, c'est la liberté d'expression. Elle nous protège tous, croyants, incroyants et agnostiques".
Le candidat à l'élection présidentielle n'a pas eu le sentiment que ces caricatures pratiquaient l'amalgame, tant dénoncé par les associations. Dans celle de Cabu, "il y a une manière d'épargner le prophète et de diriger les flèches vers ceux qui, en dérivant, trahissent son enseignement".
Et de réaffirmer avec force, comme l'on fait mercredi Nicolas Sarkozy, de façon épistolaire, et François Hollande à la barre, qu'il se rangerait "au côté de ceux qui refusent de porter atteinte à la liberté de critique et qui défendent la liberté d'être acide". Et ce, quelle que soit l'importance que prennent ses convictions religieuses dans sa vie.
Mohamed Sifaoui, journaliste, cité par la défense, a montré au tribunal le drapeau de l'Arabie saoudite sur lequel le premier pilier de l'Islam est accompagné d'un sabre. Ou celui du Groupement salafiste pour la prédication et le combat (GSPC), un groupe terroriste, où des versets du Coran sont juxtaposés à des mitraillettes. "Les musulmans doivent d'abord s'élever contre ça", a-t-il dit.
Les débats se poursuivaient dans la soirée.
Source : Nouvel Observateur du 8 février 2007