Solidaires (par Laurent JOFFRIN)
Vous avez entre les mains le premier numéro d'un nouveau journal : Charlibération. Nos camarades sont en procès. A la suite d'une erreur tactique grossière celle que relève ici Tariq Ramadan , un chapelet d'organisations musulmanes a jugé bon d'intenter une action en justice contre Charlie Hebdo. Le sang de Libé n'a fait qu'un tour : nous sommes solidaires du journal de Val. Nous avons donc aussitôt décidé de prêter Libé à Charlie. Toute la journée d'hier, Cabu, Wolinski, Tignous, Caroline Fourest, Oncle Bernard et les autres ont donc travaillé pour la cause commune. Ce procès idiot, manifestement favorisé par Jacques Chirac, qui a un contrat d'armement à la place du cerveau, est un procès de presse. Au nom de la loi de 1881, qui proscrit toute attaque contre un groupe ou un individu en raison de ses opinions religieuses, nos amis musulmans se sont fourvoyés dans une action glissante. La réponse était inévitable : au pays de Voltaire, on a le droit de critiquer les religions. Loin de nous l'idée de brusquer ou d'offenser quiconque : personne n'est obligé de nous lire, pas plus que Charlie. La «communauté musulmane» ne peut pas prendre ombrage du talent de dessinateurs qui ne ménagent aucune religion ni aucun pouvoir. Il y a une ligne jaune, bien sûr. Comme on sait, elle est fort sinueuse. Les musulmans sont victimes de discrimination en France. On comprend leur sensibilité à fleur de peau, comme on comprend celle de la communauté juive, si souvent la cible d'un préjugé immémorial et d'une répression inhumaine. Pourtant les textes sacrés sont bien plus élastiques et tolérants que ne le disent les intégristes de tout poil. Une image ne saurait atteindre Dieu, qui a bien d'autres chats à fouetter. S'il pouvait s'occuper de quelques autres maux les guerres de religion ou le terrorisme par exemple , nous en serions reconnaissants. Ce ne sont pas les mots qui blessent ou les dessins qui tuent. Ce sont les bombes.
Laurent JOFFRIN
Source : Libération du 7 février