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7 février 2007

«Charlie» face à la justice des hommes (par Christophe BOLTANSKI, Catherine COROLLER)

Caricatures • Le procès de l'hebdomadaire satirique, poursuivi pour avoir reproduit les «caricatures de Mahomet», s'ouvre à Paris• «Libération» s'est associé à «Charlie» et publie dessins et textes de ses journalistes •

«Charlie» face à la justice des hommes

Un prélat, un rabbin et un imam, bras dessus, bras dessous, poussent un même cri : «Il faut voiler Charlie Hebdo Un numéro spécial et un nouveau dessin. Telle est la réponse de l'hebdomadaire satirique à son procès, qui s'ouvre aujourd'hui devant le tribunal correctionnel de Paris. Pour avoir publié, il y a un an, les caricatures danoises de Mahomet, la Grande Mosquée de Paris et l'Union des organisations islamiques de France (UOIF) poursuivent le journal de Philippe Val pour délit d' «injure stigmatisant un groupe de personnes en raison de sa religion». Elles réclament 30 000 euros de dommages et intérêts et la publication du jugement.

Les plaignants dénoncent un «acte délibéré d'agression». La reproduction de dessins déjà parus dans le quotidien danois Jyllands-Posten aurait obéi à un «plan mûrement réfléchi de provocation visant à heurter la communauté musulmane dans sa foi». Me Christophe Bigot, avocat de la Mosquée de Paris, déclare qu'il y a «deux veines dans la caricature, une veine anticléricale, une autre haineuse. Là, on est dans le deuxième cas. On installe une image des musulmans qui fait peur».

«Numéro exemplaire». Pour Charlie Hebdo, c'est la liberté d'expression qu'on assassine. Ses avocats voient dans la plainte une «action totalement politique» effectuée sous la pression de mouvements islamistes, l'UOIF en tête, avec l'assentiment des plus hautes autorités de l'Etat. Le recteur de la mosquée de Paris, Dalil Boubakeur, «est un type modéré, mais totalement débordé et se met à crier avec les loups», selon Me Georges Kiejman, avocat de l'hebdo. «On n'a pas délivré de fatwa, mais une citation à comparaître !», rétorque Me Francis Szpiner, autre défenseur de la Grande Mosquée. L'hebdomadaire est bien décidé à profiter de cette tribune pour initier un «débat de société». «Ils veulent un procès, ils vont l'avoir», prévient son avocat attitré, Me Richard Malka, qui a cité à la barre un aréopage de personnalités : François Hollande, François Bayrou, Denis Jeambar, ex-directeur de l'Express, Dominique Sopo, président de SOS racisme, Claude Lanzmann, le philosophe franco-tunisien Abdel Wahab Meddeb, qui assure : «Le numéro incriminé était exemplaire, car il y avait une critique de toutes les religions, pas seulement de l'islam.»

Charlie Hebdo n'est pourtant pas le seul média français à avoir repris les caricatures du prophète. «Elles ont même été diffusées sur TF1 et France 2. Ils n'ont pas voulu se mettre à dos des institutions qu'ils considèrent importantes. Charlie Hebdo, c'est pas grave. On est des mécréants», lance Me Malka. Au nom de la liberté de la presse, le Nouvel Observateur , l'Express et le Monde décident en février 2006 de publier tout ou partie des dessins controversés. Libération choisit ainsi de ne montrer à ses lecteurs que deux des «moqueries danoises» et écarte le Mahomet coiffé d'une bombe «qui, écrit Serge July, pouvait criminaliser de fait les musulmans». Le directeur de France Soir, quant à lui, a sorti l'ensemble du lot dès le 1er février. Une décision qui lui a valu d'être limogé. C'est alors que Philippe Val décide de «réagir» par «solidarité» avec son confrère, pour protester aussi contre la «mollesse» des réactions de l'Union européenne aux incendies de plusieurs ambassades danoises.

«Patte du Président». Le pouvoir s'en mêle. Deux jours avant la parution, Matignon convoque Val. Le directeur de cabinet de Dominique de Villepin lui demande de renoncer au projet. Trop tard, le numéro est sous presse. Les associations musulmanes tentent à leur tour d'empêcher la sortie du journal. Elles saisissent, le 6 février, le juge des référés. Pour des questions de cuisine juridique, la plainte est rejetée. Le 8 février, Charlie Hebdo paraît comme prévu. Le 10, les associations du Conseil français du culte musulman (CFCM) se réunissent pour décider avec un groupe d'avocats de la «forme d'action judiciaire» à retenir. Souvent accusées d'être à la botte du pouvoir, elles sont face à un dilemme : il leur faut prendre en compte la colère de la base musulmane, sans rallumer le feu dans les banlieues ni risquer de passer pour des fondamentalistes irresponsables.

Le samedi 11 février, 7 200 personnes (selon la police) manifestent contre la publication des caricatures à l'appel de l'Union des associations musulmanes de la Seine-Saint-Denis (UAM 93), qui réclame le vote d'une loi sur le blasphème. Une proposition retenue par Eric Raoult, député-maire UMP du Raincy, mais le texte ne sera jamais examiné par les députés.

Les mois suivants, les avocats du CFCM réfléchissent à la meilleure ligne d'attaque. Ont-ils été aidés ? «De l'Elysée et l'Intérieur, on a reçu des conseils pour savoir si on devait aller devant la justice civile ou pénale», reconnaît un responsable musulman. Finalement, ils optent l'été dernier pour le tribunal correctionnel. Selon Charlie Hebdo, Dalil Boubakeur aurait pris cette décision avec l'aval d'un chef de l'Etat soucieux des répercussions de l'affaire dans le monde arabe comme en France. «Boubakeur prend assez peu d'initiative sans en référer à l'Elysée. Et coïncidence ? Il a pris comme avocat Francis Szpiner, qui conseille Jacques Chirac», remarque Me Malka. «Je connais Boubakeur depuis dix ans, réplique Me Szpiner. Si ça peut faire plaisir à Charlie Hebdo de voir la patte du président de la République, je n'y peux rien.»


Source : Libération du 7 février 2007

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